Les arbres (et les forêts) n’ont jamais été autant l’objet de l’attention générale que ces dernières années. Botanistes ou naturalistes ne manquent pas de décrire leur rôle primordial dans la préservation de la biodiversité, à commencer par celui d’abri et de garde-manger pour les oiseaux et les petits mammifères. Climatologues ou écologues ne cessent d’insister sur leur contribution à la baisse des températures (grâce à l’ombre qu’ils procurent naturellement et à l’évapotranspiration de leur feuillage). Pédologues ou jardiniers rappellent que leurs feuilles et leurs branches tombées à terre, en se décomposant, participent à la régénération des sols, nourrissant les arbres eux-mêmes, mais aussi microorganismes, vers et insectes, qui alimentent à leur tour la chaîne du vivant. De plus, leurs racines, profondément enfouies ou étalées en surface, quelquefois sur des dizaines de mètres, stabilisent le sol en fixant l’eau de ruissellement. Sans parler de leur simple beauté dans un ensemble patrimonial ou paysager, ou de leur présence apaisante dans un milieu urbain dégradé.
Pourtant, en dépit de toutes ces vertus, les arbres hors forêts, en France, souffrent depuis des décennies de pratiques, aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain, qui les fragilisent, quand elles ne conduisent pas à leur abattage et à leur disparition pure et simple du paysage. Les arbres isolés, en alignement, présents dans les haies ou constituant des bosquets pourraient être mieux protégés si des efforts de sensibilisation étaient entrepris et si, en parallèle, des dispositions législatives adéquates étaient adoptées. Pour atteindre ce but, l’association A.R.B.R.E.S (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Etudes et Sauvegarde), qui attribue le label « Arbre remarquable », et le CAUE77 (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Seine-et-Marne) ont uni leurs efforts, avec le soutien de scientifiques, de jardiniers de renom, de professionnels de l’arbre ou d’artistes.
Cette initiative se veut une réponse raisonnée, parmi d’autres, à la suppression des haies due au remembrement agricole ayant accompagné l’industrialisation des campagnes au cours des mal nommées « Trente Glorieuses ». L’abattage inconsidéré d’alignements d’arbres au prétexte qu’ils constitueraient un danger pour… les conducteurs de véhicule est un autre sujet de préoccupation. La dénaturation du paysage qui s’ensuit immanquablement aurait souvent pu être évitée si des protections légales avaient existé. L’élagage systématique, pratiqué sans discernement sur des sujets en bonne santé, isolés ou en alignement, a trop souvent pour conséquence de les fragiliser et de raccourcir leur durée de vie, voire de provoquer leur dépérissement précoce. Là aussi, la définition de bonnes pratiques pourrait faire l’objet de préconisations, assorties de rappels, voire de sanctions en cas d’ignorance délibérée de la part des édiles ou des propriétaires publics. L’adoption de la Déclaration des droits de l’arbre (de 2019) par des villes comme Nancy ou Bègles amorce la création d’un cercle vertueux.
L’arbre, un être vivant
S’agissant des propriétaires privés, la question est plus épineuse, le droit de propriété semblant l’emporter sur toute autre considération – y compris sur les recommandations inscrites dans le texte à valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement de 2004. Ainsi de l’article 673 du Code civil, remontant à Napoléon Ier, qui stipule : « Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. » La prise en considération de l’arbre comme être vivant, à préserver dans son intégrité pour les bienfaits qu’il apporte à tous, et non plus comme un objet que l’on peut mutiler sans dommages, constituerait un réel progrès. Pour les membes du groupe de travail « Amélioration de la législation arbres hors forêts » constitué par l’association A.R.B.R.E.S et le CAUE77, plusieurs pistes sont envisagées.
D’abord la création d’outils juridiques spécifiques pour protéger les arbres sur le plan local ou en vertu de leur intérêt en tant qu’arbres remarquables, de même que la création d’un statut de « référent arbre » à l’échelle territoriale. Ensuite, la simplification et l’uniformisation des textes concernant les aménagements des réseaux de toutes sortes et les servitudes qui leur sont liées. Enfin, le réexamen de l’article 673 du Code civil, au prisme de la primauté de la préservation de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains » (préambule de la Charte de l’environnement). Et cela afin d’aider les juges eux-mêmes à rendre des décisions raisonnées et non pas contradictoires quand ils sont saisis pour des différends de voisinage, dont les arbres (et pas seulement les haies de thuyas…) sont trop souvent les victimes expiatoires.
L’année 2021 devrait voir avancer un autre dossier : le projet, défendu par le botaniste Francis Hallé, de recréation en Europe d’une forêt primaire, c’est-à-dire une forêt de grands arbres se régénérant elle-même sur une très longue durée (une dizaine de siècles !) sans aucune intervention humaine. (La dernière forêt primaire européenne, la forêt de Bialowieza, située à cheval sur le territoire de la Biélorussie et celui de la Pologne, bien que classée, a été récemment menacée par un début d’exploitation. La Pologne a fait l’objet, depuis 2017, d’une décision contraignante de la Cour de justice de l’Union européenne.) La proposition de Francis Hallé, créateur du Radeau des cimes, qui a exploré sur plusieurs continents la canopée des forêts tropicales, a été reprise par une association qui porte son nom : l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire. Si ce projet se concrétise, cette forêt pourrait occuper un espace transfrontalier européen, sa création effective nécessitant pour le moins une collaboration interétatique. L’Unesco, quant à elle, a dores et déjà manifesté son intérêt.